jeudi 14 janvier 2021

Le Rap sous l'ère Donald Trump [Bilan/Analyse]

Voila c'est fini. Après 4 ans de trolls et de tweets, le mandat de Donald J. Trump prendra fin le 20 janvier 2021 après une campagne électorale digne des meilleures saison de House of Cards. Polémiques, coup d'éclat et coup de sang; c'est avec circonspection que le quidam se délecte d'intrigue politique, avec la conscience que les enjeux Outre Atlantique ont un effet direct sur nos propres vies. Qu'on aime le personnage ou non, la personnalité clivante du 45ème Président des Etats Unis nous a tous forcés à un moment ou un autre à prendre position. Dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, il est temps de porter un regard rétrospectif sur la position adoptée par le mouvement Hip Hop et l'attitude de certaines figures importante de la culture.


Acte 0 : Le temps des mamours

Il fut une époque pas si lointaine où le magnat de l'immobilier était la coqueluche des rappeurs US. On explique cet attrait par l’appétence des milieux défavorisés pour les outsiders qui démarrent d'en bas pour finir au sommet (du Scarface de DePalma à Trump le principe est le même). Que le natif du Queens ait reçu un coup de pouce à millions de dollars de son paternel Fred Trump n’intéresse plus grand monde de toute manière. Selon le site FiveThirtyEight, 60% des chansons qui mentionnent Trump étaient positives à son égard. Des rappeurs comme Rick Ross ou Nas l'ont fréquemment érigé dans leurs lyrics comme modèle à suivre pour devenir des nababs au compte en banque illimité. C'est finalement au moment où le boss de The Apprentice se lance en politique avec des déclarations de plus en plus controversées, que la donne change négativement dans l'industrie de la musique en général. 

Quand l'Argent parle le Racisme se tait


Acte 1 : Round d'observation

Quand Donald Trump lance sa campagne en 2016, l'ensemble de la classe politico médiatique ne le prend absolument pas au sérieux. Comment leur en vouloir au fond ? Qui imagine ce bouffon mégalomane, amateur de catch et de pornostar occupé le même siège qu'Abraham Linlcon ? En face, l'ultra corporate Hillary Clinton s'impose comme la candidate de la continuité et de la rigueur, dans un statu quo qui nie les maux profond du pays-continent.

Pour faire vite les Etats Unis c'est quoi ? Un pays de bons vivant névrosés né par le génocide d'un peuple autochtone et qui doit son essor économique par l'asservissement d'une population déportée d'un continent à un autre. Interventioniste sur l'ensemble du globe et puritain quand ça les arrange; l'état d'esprit du pays impose que l'on se réalise avant tout en comptant sur soi. Pour le meilleur et souvent pour le pire, peu importe la race ou l'origine sociale, quand on veut on peut ! Ceci est la doctrine simpliste du Rêve Americain et toute ressemblance avec notre méritocratie à la française est fortuite.

Une fois le tableau dressé nul besoin de préciser qu'une très grande partie de la population -peu importe la couleur- n'a pas la sensation que ce fameux rêve est à leur portée. Pire, la succession de crises économiques et les plans d'austérité auront confortés les laissés pour compte que les dés sont pipés pour eux et leurs familles. En outre, si on ajoute l'impact et les effets d'une mondialisation dérégulé, il serait très arrogant de ne pas imaginer qu'un populiste ne vienne tôt ou tard surfé sur ces eaux troublés teintés de ressentiment. Et pourtant.

Ce sentiment de perte de contrôle sur son destin, le Hip Hop en a fait sa matrice. De Grandmaster Flash à Kendrick Lamar, on ne compte plus les prises de paroles sur le quotidien des laissés pour compte. Le plus intelligent des auditeurs aura compris que lorsque qu'un Eminem lâche son 'Lose Yourself' il tend vers l'universalité où toute personne qui a un temps soit peu trimé ressent les choses dans ses tripes peu importe l'ethnie.

Black Music est sa racine mais sa destiné est d’être partagé tel un rituel christique. Le Rap réussit la où la politique échoue dans la mesure ou elle transcende et rassemble tout en restant pertinente au fil du temps. Dans ce contexte, comment ce genre va t'il réagir quand un candidat à la Maison Blanche porte les mots de la division ?


Acte 2 : Guerre Ouverte ?

Novembre 2016, Trump est élu président des Etats Unis à la surprise générale. Celui qui se vantait "d'attraper les femmes par la chatte" (sic) et traitait les mexicains de violeur va bel et bien prendre la suite de Barack Obama. Obama parlons en. Le premier président noir des Etats Unis a globalement fait du bon boulot sur le plan économique en réduisant le taux de chômage et en faisant de son mieux pour mettre en place un semblant d'aide médicale pour tous. Son style flegmatique et intello ne parle pas à une Amerique profonde qui il y a peu, fermait les yeux (voir pire) quand des afro americains était pendus à des arbres.

Barack était le président des urbains et des branchés de droite et de "gauche". Ce centrisme sans saveur qui ne débouche sur rien politiquement mais qui a le don singulier d'énerver tout le monde à la fin. Quand votre entreprise ferme et que vous vous retrouvez endetté jusqu'au cou, le cerveau moyen est sensible lorsqu'on lui sert du bouc émissaire sur un plateau.

Et quand on évoque un cerveau moyen je pense naturellement à Kanye West. Le rappeur bipolaire s'est illustré pendant toute la mandature à s'affirmer comme un fervent supporter de Trump, pour mieux le renier en fonction de son agenda musical. Mais plus sérieusement, le fantasque auteur de 'Flashing Light' a mis sur la table la question du vote afro americain et c'est déjà pas si mal.


j'ai un ami noir

Nous savons que le vote des minorités va généralement vers les démocrates. Néanmoins, nous avons pu observer que de plus en plus de noirs comme la polémiste Candace Owens, affirme avec force ses positions ultra conservatrice même si cela implique un lien avec la mouvance Alt Right. La question qui se pose alors c'est peut on être noir et de droite ? Pour moi la question est bien évidemment positive et j'irai même plus loin en soulignant l'hypocrisie d'un mouvement Hip Hop, qui par bien des cotés est plus une musique vantant le capitalisme que l'altermondialisme. Dans le même ordre d'idée, les auteurs de ces textes sont souvent issus de structure catholique, protestante ou musulmane; et ces familles de pensées portent en elles des valeurs conservatrices à mille lieux des revendications progressistes de notre époque. Nous sommes le fruit d'une éducation reçue et nié son importance dans le travail ou une oeuvre est une folie.

Pour faire simple, un Jay-Z est dans le fond plus proche de Trump qu'on ne le pense, mais le jeu médiatique impose une opposition de façade pour éviter de se mettre une partie du public à dos. Comprendre que le calcul en politique est primordial dans la gestion des relations publiques. Quand Asap Rocky s'est retrouvé embastillé en Suède, Trump n'a pas manqué de soutenir la demande de libération du rappeur. Quand  50 Cent connu pour être sans filtre, déclare voté pour Trump, c'est sa conscience de classe "nouveau riche" qui s'exprime. Son vote étant motivé par sa crainte d’être trop lourdement taxé par le fisc de la future administration Biden. Comble de l'ironie, c'est son ex Chelsea Handler (une femme blanche) qui lui fit la leçon, lui expliquant qu'il ne pouvait pas voter contre les intérêts de la communauté noire. C'est dans ce même ordre que certains rappeur se sont séparés artistiquement de Kanye West, quand d'autre ont reprochés à Ice Cube d'avoir collaboré avec l'administration Trump dans le cadre d'un programme contre les inégalités. Parfois les réflexes conservateurs ne sont pas là où on le pense.

En dépit de la dissonance cognitive propre au Rap qui en fait une musique de joyeux schizophrène pour d'autre schizophrène, j'insiste. L'idée profonde du communautarisme et des corporatismes c'est que les affaires de la minorité concerne avant tout la minorité. Par conséquent, une omerta tacite se met en place dans des structures viril où toute dissonance est châtié. Où tout regard et critique venant de l’extérieur  est une menace. Et si de surcroît un homme blanc (orange selon la saison) et profondément raciste décrète qu'une partie de la communauté pose problème, c'est l'ensemble de la société qui fera bloc contre lui à juste raison sur ce terrain.


Acte 3 : Statu Quo

Le mandat qui vient de s'achever  fut riche en événement. Le véritable drame c'est la sensation que les choses stagnent où que lorsque que les choses bougent elles vont toujours en s'empirant. Preuve qui appuie ce sentiment, quand un neo nazi écrase des manifestants avec sa voiture et que le locataire du bureau ovale déclare que les fautes sont partagées; il y a une ligne irréconciliable qui accouchera du pire dans les années à venir si rien n'est fait. L'époque qui est la notre étant celle des couards et des autruches, j'étais particulièrement satisfait de voir un artiste de la stature d'Eminem prendre radicalement parti dans un de ses freestyles dont lui seul a le secret. 

Mon problème c'est que je l'ai trouvé bien seul sur ce coup pendant ce mandat dans la mesure où nous avons cruellement manqué d'incarnation au final . Un excellent morceau du regretté Mac Miller, quelques snap de Cardi B, quelques coups de gueule de Snoop Dogg, le superbe 'This is America' de Childish Gambino et à coté des platitudes d'appel à l'unité écrite par un community manager pour les autres. Si on ne devait retenir qu'un seul titre sur toute cette période il s'agirait sans commune mesure du 'I'm Not a Racist' de Joyner Lucas, qui a l'intelligence de faire une synthèse sans manichéisme de la situation dans nos sociétés multiculturelle. 

 

D'une sagesse pédagogique rare, peu ont emboîté le pas pour faire réfléchir le petit peuple avec des sons similaires. La vérité c'est que les artistes se sont globalement résignés face à l'homme qui tweetait plus vite que son ombre. Paradoxalement, ce sont les médias qui ont menés la charge sans relâche face aux abus et mensonges de l'administration Trump. Avant la crise sanitaire, les radars étaient dans le vert avec un taux de chômage extrêmement bas (comprendre que cumulé deux emplois précaire est juste devenu plus facile). Même l'assassinat de George Floyd n'a pas accouché d'un sursaut pouvant inquiété un état réactionnaire et complotiste; et pour être totalement sincère, son éviction de la Maison Blanche est plus au crédit du Covid 19 que du talent oratoire de Joe Biden. Mais ne boudons pas notre plaisir, voir une personne qui a le mensonge comme groupe sanguin, être viré est un plaisir coupable. Mais d'ici là le monde est il un endroit plus sur ? J'en doute. Le mal est peut être parti mais sa cause persiste. Et je constate que le Rap comme nos politiques n'a vraisemblablement plus grand chose d'intelligent à nous raconter pour le moment.


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