mardi 10 novembre 2020

55 jours plus tard: Crazysongz en Confinement


Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres" - Gramsci

55 jours...

Si vous lisez ces lignes et mes élucubrations je suppose que vous vous en êtes sortis. Intact, blessé, usé, fatigué, revigoré ? Le contact humain a fait peau neuve et a pris une tout autre importance. Pour moi un retour a l'essentiel et à l'introspection. Sur CrazySongz, on parle musique mais les événements nous pousse à considérer la place que l'art a dans notre vie. Elle nous inspire, nous réconforte et nous fait grandir. Son usage et son partage évolue et cela va continuer pour le meilleur et pour le pire.

55 putain jours !

À la place du concert de Jill Scott prévu sur Paris le 18 juillet j'ai eu droit à un live sur Instagram... Pendant le confinement, nous avons eu droit des directs insipides où des chanteurs un peu hasbeen ou en manque de buzz se confrontaient musicalement et partageaient quelques anecdotes et private jokes. Pour vaincre l'ennui dans un esprit de partage tout de même, chaque "versus" avait son parfum nostalgique. C'était mieux que rien, ça fait vivre la culture et tout porte à croire qu'on a pas fini d'en bouffer.


Ce qui me surprend finalement c'est le désarroi général et l'incapacité à parler de la crise dans le fond. Pour ce qui est de la France, nos animateurs de l'entertainement se sont contentés de répéter ad nauseam la doctrine sur les gestes barrières tout en apportant un soutien décisif pour le personnel hospitalier.

Dans la lignée des bons sentiments populaire, c'est la tribune du comédien Vincent Lindon chez Mediapart qui a retenu mon attention. Dans celle ci, les gouvernants sont renvoyés à leur responsabilité et l'acteur est force de proposition.  Sans être Victor Hugo c'est ce que j'attend d'un artiste, à savoir: être en contact avec son époque car vivre de son art est un privilège. Ce privilège peut apporter une vue d'ensemble et une sensibilité particulière sur les thématiques qui font bouger le monde. 

L'engagement politique chez nos vedettes est une longue tradition même si pendant la Seconde guerre mondiale on a pu constater l'étonnante passivité chez certain-e-s qui s’accommodait volontiers de la présence de l'occupant. Mais pour mettre le focus sur une période qui nous parle un peu plus; depuis les années 80 et l'explosion de ce qu'on appelle le Charity Business, nos artistes (sincère pour la plupart) sont les hommes sandwich de toutes les bonnes œuvres et cela de manière si systématique qu'on en vient à douter de la sincérité de l'engagement et des engagés. (lire: les dérives du Charity Business)

Dans le mouvement, quelques un nous motive à prendre les transports en tweetant à bord d'un jet privé plein de kérosène, font des pétitions, chèques à des ONG dont la mission première est de sécuriser une trésorerie bien garnie et en bon exilé fiscal vous invite à faire de même avec un don (tout bénef pour les impôts).

Le spot de pub financé, avec des petits africains malingres, bis repetita l'année suivante avec la prochaine "crise à la mode". Le cynisme à la source.

Légèrement désabusé et injuste sur les bords (et mon cocktail rhum planteur n'aide pas pendant que je frappe les touches de mon clavier); dans mon monde idéal, les artistes sont dans la lignée des véritables musiciens engagés qui m'ont fait grandir politiquement et je me fiche qu'ils soient de droite ou de gauche. Ceux là n'était pas soumis intégralement à des marques et à des placements de produits et leur œuvres en totale cohérence avec leur conviction.

On se souvient du regretté Johnny Clegg, qui fut un des premiers artistes à soutenir la libéralisation de Mandela. De la parole de Marley pour la légalisation du cannabis, du combat de 2Pac pour la jeunesse défavorisées, et les derniers et pas les moindres artistes des 70's contre la guerre du Vietnam. Car c'est bien simple, de ce mouvement de contestation sont nés des chansons puissantes et mythique. On pense à 'Sittin on the Dock of the bay' d'Otis Redding, 'Kill your son' de Lou Reed, 'What's Goin On' de Marvin Gaye, 'Machine Gun' de Jimi Hendrix, 'Gimme Shelter' des Rolling Stones ou encore l'intemporel 'Imagine' de Lennon.

Une liste vertigineuse qui transcende les générations et pose question sur notre époque qui ne manque pourtant pas de défi sociétaux. Et pourtant, prétendre qu'aucun artiste ne fait de politique serait faux. La nuance se joue sur l'impact et le choix calculé de ces combats. Sans réfléchir, des Macklemore, Lana del Rey, Janelle Monae, Joyner Lucas ou Pink ont quelques chansons militante dans leur répertoire mais ils ne sont pas reconnus comme des artistes politiquement proche du prolétariat comme peut l'être un Bruce Springsteen. 

La médiatisation et le jeunisme laisse croire que le Hip-Hop est à la pointe en terme de musique contestataire. Et je tenais à vous faire savoir que le Punk rigole. Depuis le début des années 2000 le Rap ronger par le second degré s'est vidé de sa substance politique pour à de rare occasion parler de bavure policière quand deux semaines avant les radios passent des sons où on parle d'assassiner le "nigga" d'en face entre deux twerks

Des rappeurs Old School comme Ice Cube, Chuck D, Mos Def ou Immortal Technique ont toujours eu le bon goût de rester fidèle à leur rage avec une plume affûté et reconnaissable. En dépit de son statut de superstar,  Eminem fut bien le seul à rapper contre l'invasion de l'Irak par G.W Bush en 2003 avec le titre 'Mosh', tout comme son freestyle contre Donald Trump a eu plus d'impact et de consistance que le fadasse 'FDT' de YG. Et il est sain que des artistes comme J.Cole ou Kendrick Lamar reprennent le flambeau du rap de fond  tant le mouvement drill et trap n'a pas vocation à pousser à la conscience politique même si il faut saluer l'engagement d'une Cardi B, consciente de son influence auprès des jeunes.


En outre, le véritable problème, c'est qu'il y a autant de problèmes que d'artistes.  Les conséquences du communautarisme galopant impose ce triste constat : chacun chante pour sa cause, pour sa tribu, pour son genre. Jusqu'ici faire cause commune était dur mais pas aussi difficile qu'aujourd'hui. J'imagine que le sentiment d'impuissance face à "la Bête" est trop fort et on se contente de faire le dos rond en attendant que ça se passe ou d'autre plus malin surf sur la vague militante pour mieux abandonné la lutte. Et plus simplement, tout le monde n'a pas vocation à combattre et c'est aussi bien comme ça.

Le déconfinement fut marqué par une flambée de violence policière envers les afro americain. L'assassinat de George Floyd fut le déclencheur du renforcement du mouvement Black Live Matter symbole d'une cause légitime totalement récupéré par des entreprises soucieuse de leur image quand bien même il faut reconnaître qu'il n'existe pas pour de bonnes solutions dans la mesure où l'absence d'action ou de soutien de leur part entraînerait de facto un bad buzz immédiat. 

Autre soucis: le manque de crédibilité à savoir qu'il est difficile de s'engoncer dans le costume altermondialiste tout vantant l'inverse dans ses textes ou en étant l'égérie de grande marques. Un produit peut être vertueux mais souvent la réalité de sa conception fait de nous des consommateurs victimes consentantes et des prédateurs qui s'ignorent. Malheureusement, il serait bien difficile de se passer de notre confort, et à titre personnel je ne suis pas près de renoncer à mon smartphone, c'est dit.

55 jours avant la vie sans masque. 

Vous vous en souvenez ? Déforestation de masse, famine, réchauffement climatique, attentat, guerre et j'en passe. Et soudain, plus rien ou presque. On ose à peine... Le Coronavirus a t'il uni le Monde ? 55 jours après, retour à la normale et 2020 n'est même pas encore finie.

Confiné de force, des esprits rêveurs - et il en faut-  chérissent l'idée qu'un Nouvel ordre positif est en marche à l'échelle mondiale. Pendant notre retraite forcée, nos pompiers qui se prennent des pierres en intervention, les fonctionnaires qui triment et le personnel soignant, ont eu droit à des louanges, des félicitations, des applaudissements, des chansons -mais ça c'était prévisible-. Pendant deux mois, la considération était de retour et ironiquement la conversation (même via Skype), l'innovation et la coopération ont fait la nique à la compétition. 

Chez moi, j'ai fait de mon mieux pour faire l'économie de la télévision pour m'épargné l'incivilité des Parisiens en boucle sur BFM; abstraction des réseaux sociaux car la Grande bataille royale du papier toilette et les files du McDrive auront eu raison de mon moral. Pour une fois, je déposai sans regret mon casque bluetooth pour écouter le chant d'un piaf sans le risque qu'un Boeing dans le ciel ne perturbe ce spectacle primaire. Sous mon masque un sourire. Mais ça c'était avant. Déjà.

Vient la crise et avec elle les interrogations des longues nuit d'hiver. Auront nous seulement de la mémoire ? De la mémoire, pour ceux qui sont encore au charbon, pour ceux qui vont tout perdre, pour ceux qui ont survécut avec des séquelles, pour ceux qui ne sont plus là. De la mémoire pour que ça change en mieux. Qui sait. 

Le monde d'après ? Une farce. Nous sommes ce que nous sommes. Ni bon ni mauvais. Capable du meilleur comme du pire. Ce virus est un révélateur des défaillances qui finissait habituellement sous le tapis. Au final, la Covid est un défi qui invite à se réinventé et faire preuve de courage dans un monde incertain. 

L'industrie de la musique, faite de producteurs et de technicien est livré comme d'autres secteurs jugé non essentiel à une précarité extrême; l'heure est venue de trouver les ressources pour garder le lien avec le public et le besoin d’être ensemble.

Pour être sincère, les chances que je retourne à mon pessimisme joyeux et à mes réflexes bourgeois sont grandes. J'espère pouvoir écrire et partager plus souvent sans faire de promesses que je ne puisse tenir. Pour cela, la musique est pour moi comme pour vous, la meilleure des thérapies et le carburant d'une vie. Notre rapport à l'art et au spectacle vivant change, et je sais que nous allons collectivement redoubler d'inventivité pour continuer à nous épanouir en toute sécurité. 

55 jours après. 

Aujourd'hui on se confine à nouveau, l'esprit résilient dans un remake plus light. Je n'imagine même pas l’expérience psychologique de vivre l'adolescence en cette période. C'est pourquoi j'invite les artistes à redoubler de créativité et surtout continuer à faire craquer ma boite mail de vos projets. Le partage, le partage et encore du partage en attendant des jours meilleurs.

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